« L’échec d’une Europe où le ciment entre les peuples et la prospérité seraient venus des seules vertus du marché »

Samedi 25 juin 2016

Tribune commune parue dans LeMonde.fr par Pervenche Berès (présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen), Gianni Pittella (président du groupe socialiste et démocrate italien au Parlement européen), Udo Bullmann (président de la délégation sociale-démocrate allemande au Parlement européen)

Les électeurs britanniques ont tranché. Nous respectons et regrettons leur choix, car le départ du Royaume-Uni constitue une perte pour l’Union européenne (UE). Nous saluons les efforts de tous les Britanniques qui ont bataillé si fort pour le maintien dans l’UE.

Maintenant, les dirigeants de ce pays doivent tirer toutes les conséquences de cette décision et informer au plus vite le Conseil européen de leur demande de retrait. La volonté de M. Cameron d’attendre l’automne prochain pour activer officiellement l’article 50 [du traité de Lisbonne] est inacceptable pour les électeurs britanniques, qui viennent de se prononcer, et inacceptable pour les 27 autres Etats membres, qui n’ont pas à subir davantage le choix de M. Cameron et d’une majorité d’électeurs britanniques.

M. Cameron restera dans l’Histoire comme celui qui a mis son pays en dehors de l’UE pour résoudre un conflit politique interne à son parti et pour son destin personnel. Il a entraîné son pays au bord de l’implosion, sans parler de la demande, dès le lendemain du Brexit, de nouveaux référendums d’indépendance en Ecosse et maintenant en Irlande du Nord. Il doit être remplacé sans délai.

L’échec d’une certaine Europe

Est-il utile de rappeler que l’accord de février dernier est nul et non avenu ? Les négociations de ce retrait et celles sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union sont pour nous deux choses clairement distinctes. Aucun lien ne doit être accepté entre les deux négociations. Les dirigeants de l’UE doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter le délitement et protéger la zone euro.

Ce vote britannique est aussi le symbole de l’échec d’une certaine Europe. C’est l’échec d’une Europe où le ciment entre les peuples et la prospérité seraient venus des seules vertus du marché intérieur. Le marché ne peut pas tout. L’heure doit renouer avec la vocation d’origine de l’Union, assurer la démocratie et le respect de valeurs, la prospérité, la liberté et la paix par la solidarité. Mais l’Europe doit assumer ce qu’elle est : un projet politique qui ne peut se faire sans démocratie, sans les peuples.

Elle doit surtout répondre à la question du pourquoi être ensemble et entendre les citoyens, car ce référendum est déjà utilisé par tous ceux qui veulent en revenir à l’illusion des frontières nationales, et sortir de l’Union au nom d’un nationalisme mortifère.

Soyons clairs : l’UE permet à ses Etats membres de mieux faire entendre leur voix dans le monde actuel. Comment définir des normes sociales et environnementales, face à la Chine ou aux Etats-Unis ? Comment penser sa défense face aux menaces contemporaines, entre les deux grandes puissances militaires que sont la Russie et les Etats-Unis ? Comment lutter efficacement contre le terrorisme ou l’évasion fiscale, qui sont par essence des problèmes transnationaux ?

L’heure est à la refondation

Nous lançons conjointement un appel : l’heure est à la refondation, à la fois au niveau de l’UE et au niveau de la zone euro. Les Vingt-Sept doivent travailler ensemble en matière migratoire, de défense, de sécurité, de transition énergétique et de numérique ; au niveau de la zone euro, nous devons parvenir à une véritable convergence sociale et fiscale.

Consolider la zone euro, ce n’est pas diviser l’Europe, c’est protéger les Européens. Paris, Berlin et Rome doivent s’entendre pour proposer à leurs partenaires un budget de la zone euro et les institutions qui vont avec, pour répondre à ces priorités absolues : la démocratie et la solidarité, l’emploi et l’investissement.

L’Europe a besoin de reconnaître ce qu’elle est, elle ne peut pas être une machine bureaucratique ; elle est un objet politique, qui doit placer au premier plan le renforcement de l’Europe sociale. Nous devons mettre fin au dumping social en Europe. Nous devons mettre fin à l’austérité par le biais d’une nouvelle réforme du pacte de stabilité et de croissance afin de faire progresser l’emploi, l’investissement et la croissance.

L’UE doit mettre un terme au dumping fiscal, aux paradis fiscaux et à l’évasion fiscale. Nous devons mettre en place la stratégie migratoire proposée par la Commission et la soumettre aux critères d’une politique migratoire plus humaine par le biais d’un renforcement de la frontière extérieure de l’UE, avec un service européen de gardes-frontières, un système de relocalisation des réfugiés qui fonctionne et la mise en œuvre du « paquet migratoire ».

Un véritable ministre des finances

Nous avons besoin de réformer le système de financement de l’Union, d’un véritable ministre des finances de l’UE, avec un budget approprié et une capacité budgétaire pour la zone euro, de créer un organisme européen disposant, comme le FBI, de pouvoirs d’enquête réels.

Ces réformes passeront nécessairement par un nouveau cadre institutionnel, doté d’une légitimité démocratique renouvelée. Dans nos pays fondateurs, l’Europe sera au cœur de chacune des élections à venir. Nous sommes convaincus qu’une Europe refondée sera l’outil indispensable pour défendre nos valeurs, construire une souveraineté européenne et faire face, ensemble, aux défis et menaces du XXIe siècle.

La famille sociale-démocrate a ici rendez-vous avec son histoire tant son avenir est intrinsèquement lié au destin européen. C’est une responsabilité pour notre génération, pour celle qui vient.

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