Des financements innovants pour lutter contre le dérèglement climatique.

J’ai participé, le 10 avril dernier, à la conférence internationale « Progressistes pour le climat » qui réunissant à Paris, à quelques mois du début de la COP21, un large panel de personnalités politiques et scientifiques pour discuter des solutions nationales et internationales pour lutter contre le dérèglement climatique, partager des expériences,  faire émerger des idées et débattre des solutions possibles tout en renforçant la justice sociale et le développement humain. L’ambition de cette rencontre de haut niveau était de faire entendre une voix progressiste afin de contribuer à faire avancer les négociations en vue d’un accord efficace sur le climat lors de la COP21.

Conférence internationale pour le changement climatique
Fondation Jean-Jaurès/FEPS
Salle Victor Hugo – Assemblée nationale – 10 avril 2015

Table ronde: Raising ambition and financing the transition :
innovative solutions and cooperative approach
Intervention de Pervenche Berès, présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen

Chaque année dans le monde, on dépense « 2 000 milliards de dollars (externalités comprises) pour encourager la consommation d’énergies fossiles, alors qu’on ne dépense que 100 milliards pour encourager les populations à privilégier les énergies renouvelables » (Andrew Steer Président et directeur général du World Resources Institute (WRI))

Dans un moment où la tension sur les finances publiques de nombreux pays rend très difficile toute augmentation de la pression fiscale, il est nécessaire, pour répondre aux engagements pris dans le cadre de la COP 21, d’inventer, d’étudier et de mettre en place des outils et des dispositifs de financement innovants. L’essentiel des moyens financiers nécessaires viendra sans aucun doute des investisseurs privés et institutionnels (Fonds souverains, fonds de pension, sociétés financières, etc.). Mais l’économie verte représente pour l’instant moins de 1% des portefeuilles traditionnels. Un objectif volontariste serait de porter cette part autant que possible à 10% d’ici 2020.

Pour permettre cette réorientation de la finance au service des objectifs de la COP 21, il faut rentrer dans le cœur nucléaire, parler de l’intérieur du monde des services financiers et non seulement l’interpeller depuis celui des partisans de la transition écologique. Le programme de travail de la Commission européenne autour de l’objectif d’un marché unique des capitaux doit être investi.

Dernière remarque introductive, je pense qu’il ne faut pas opposer l’enjeu du financement de cette transition avec ceux du développement durable et qu’au contraire, il faut démontrer en quoi ils s’articulent.

Pour penser l’innovation au service du financement de la transition écologique, il faut que les pouvoirs publics mettent en place des cadres clairs et stables dans le temps : ils sont indispensables pour sécuriser et améliorer la rentabilité d’investissements de long terme. Je propose en ce sens un décalogue.

1. L’incitation de tous les acteurs financiers à réorienter leurs investissements à l’échelle nécessaire pour financer une véritable transition vers des économies résilientes et sobres en carbone
Tant que les marchés financiers continueront de promettre des rendements sur investissements de 9 %, 10 % voire 15 % par an, soit bien plus que ce qu’aucun investissement réel ne pourra jamais promettre, les flux financiers resteront détournés de l’investissement dans la transition écologique. Le système financier dans son ensemble doit donc être incité à intégrer le risque climatique dans ses décisions d’investissement. Le grand défi, c’est la réorientation des 1 200 milliards d’euros d’investissements au niveau mondial dans l’énergie. Ils sont encore orientés aujourd’hui à 80% vers les énergies fossiles contre 20% pour les renouvelables. Il faut, en quelques années, modifier puis inverser cette proportion. Cela passe par des investissements massifs dans l’innovation. Pour une énergie zéro carbone, une agriculture écologique, des moyens de transports sans émissions, etc. On perçoit trop souvent le financement de la transition écologique seulement comme un coût, en particulier dans un contexte de politiques d’austérité. Or, il s’agit d’un investissement, créateur d’emplois et de valeurs ajoutées. En Europe pour contribuer à cette réorientation, il y a urgence à définir de manière crédible et prévisible le prix du carbone et donc à mettre en œuvre la réserve de stabilité. Je note que le plan Juncker qui mentionne les investissements dans le domaine énergétique et les enjeux liés au marché intérieur est silencieux sur cette question du prix du carbone, je pense que c’est une erreur.

2. Des garanties publiques spécifiques en faveur des investissements verts
Les investissements verts relèvent de l’intérêt général, il revient donc à la puissance publique de prendre en charge une partie des risques en se portant, même d’une manière partielle, garante des risques. Ce mécanisme a été exploré en France à la suite du débat national sur la transition énergétique dans le cadre de l’étude de faisabilité du projet de Société de Financement de la Transition Energétique (SFTE). Elle portait sur la rénovation énergétique des bâtiments publics, un des enjeux clefs de la transition énergétique, mais qui est lourdement tributaire de la contrainte financière. Ses conclusions ont été largement reprises par la France dans sa contribution au plan Juncker.

3. L’utilisation du plan Juncker en Europe
Les investissements dans le cadre du FEIS (Fonds européen d’investissement stratégique) doivent contribuer à la stratégie 2020 de l’UE en faveur d’une croissance intelligente, durable et inclusive. Afin d’améliorer la coordination des politiques d’investissement de l’UE, le règlement s’accompagne d’un cadre stratégique commun (CSC) de promotion du développement harmonieux, équilibré et durable de l’UE. Cette approche intégrée doit par conséquent s’appliquer aux opérations et aux projets soutenus par le Fonds. Ce dernier doit contribuer aux objectifs climatiques approuvés pour 2020, 2030 et 2050 et favoriser les investissements soutenant la transition énergétique. C’est un point de débat intense en ce moment même au Parlement européen alors que la Commission de l’industrie (ITRE) devra se prononcer d’ici quelques jours sur des amendements qui prévoient de flécher une partie de la garantie en faveur d’investissement pour l’efficacité énergétique. Je dois dire mon malaise face aux arguments des adversaires de ce fléchage au motif que ce serait aux investisseurs privés de choisir leurs priorités. Il me semble que dès lors qu’un mécanisme public, tel que le FEIS, est mobilisé, il est normal d’en définir les contreparties.

4. Un fléchage ambitieux des engagements des banques publiques et multilatérales en faveur du financement de la transition écologique
4.1. Les banques et établissements financiers publics nationaux ou européens sont au service de l’intérêt général. Leurs engagements qu’ils soient sous forme de prêts, de capitaux, de placements financiers pourraient être orientés, à l’aide d’outils adaptés, dont certains existent vers les investissements verts. Les financeurs publics doivent se situer aux avant-postes de la transition énergétique. Les banques de développement et banques publiques d’investissement pourraient se fixer comme objectifs 50% de leurs nouveaux investissements dans l’économie verte ou bas-carbone en 2030. En France, l’AFD travaille ne ce sens.
4.2. Pour les banques multilatérales et régionales (Banque Mondiale, BEI, BERD, BAD, BASD, BID…), l’objectif peut être plus ambitieux encore. Ces institutions doivent pouvoir faire preuve de créativité en faveur de dispositifs innovants (mobilisation des DTS pour alimenter le Fonds verts pour le climat, utilisation par les pays du G20 de leurs propres garanties publiques pour faire baisser le taux d’emprunt du Fonds vert).

5. Des labels et des avantages spécifiques aux fonds d’investissement verts et aux émissions d’obligations vertes
Créer un « label bas-carbone » identifiant les fonds qui utilisent les meilleures pratiques en la matière, qui bénéficieraient d’avantages fiscaux à définir.

6. Des « certificats carbone », susceptibles d’être racheté par les banques centrales
C’est la proposition de Michel Aglietta pour France Stratégie. A condition, que les gouvernements s’accordent sur une valeur du carbone et un volume de réduction d’émissions accessibles par des projets évitant des rejets de gaz à effet de serre (rénovation des bâtiments, énergies nouvelles par exemple), on pourrait définir un nouvel actif réel, « l’actif carbone », pour gager des « Eurobonds carbone », qui deviendraient des obligations attractives pour des investisseurs comme les fonds de pension ou les fonds souverains. En les confiant à intermédiaires financiers publics comme la Banque européenne d’investissement, ils permettraient l’émission de certificats carbone et des prêts à faible taux pour des projets « bas carbone ». Ces projets devraient être certifiés puis contrôlés par une autorité indépendante, à l’image de ce que fait le mécanisme de développement propre de la convention climat. Si la BCE reconnaissait les certificats carbones comme actifs de réserve bancaire au fur et à mesure de la bonne réalisation des projets, les banques pourraient alors renforcer leur bilan sans restreindre les crédits à l’économie.
On n’aurait pas d’injection aveugle de liquidités ; la montée des réserves carbone serait corrélée à une production de richesse dûment contrôlée et on distrairait l’épargne privée des produits spéculatifs par le biais des produits financiers dédiés au climat bénéficiant d’une forte garantie, d’un rendement un peu supérieur à celui des plans d’épargne et d’une finalité éthique.

7. Le bon emploi des programmes d‘assouplissement quantitatif » (quantitative easing)
La Banque Centrale européenne poursuit son programme d’assouplissement quantitatif. Ces mécanismes pourraient être mis à profit pour privilégier les obligations vertes et les investissements verts réalisés par les Etats ou les administrations publiques.

8. Une taxe carbone incitative
8.1. Le niveau actuel de la taxe carbone (en France 16 euros la tonne de CO2, 22 euros en 2016) n’est pas suffisant pour orienter les investissements verts. L’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) propose que cette taxe mise en place au niveau européen soit surcompensée budgétairement (en subventionnant donc les acteurs économiques forfaitairement à un niveau globalement supérieur au produit de la taxe) et qu’elle soit accompagnée d’une taxe carbone aux frontières pour rééquilibrer la perte de compétitivité que subirait l’industrie européenne. On sait que ce débat se heurt Elle pourrait être envisagée au niveau mondial avec un système de bonus-malus basé sur les émissions moyennes de GES par tête et par an, dans lequel les pays émettant plus que la moyenne mondiale devraient s’acquitter d’un malus, et les pays en dessous de cette barre recevraient un bonus.
8.2. Une taxe sur le carbone ajoutée au niveau européen (TCA) serait une autre voie possible pour l’établissement d’une fiscalité écologique européenne. Elle fonctionnerait selon le même principe que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à la seule différence que l’imposition reposerait ici sur le contenu en carbone– et en « équivalents-carbone »–ajouté. Elle concernerait tous les biens et services des pays concernés, s’appliquant à toutes les opérations – de la production à la vente au détail en passant par le conditionnement, le transport, la distribution, le stockage… – afin d’être répercutée dans la consommation finale. Les citoyens pourraient ainsi se rendre compte du réel coût en carbone des produits qu’ils achètent.

9. La taxe sur les transactions financières et l’affectation d’une partie de son produit aux investissements verts
Cette idée a été relancée par François Hollande début 2015, dans le contexte des discussions au niveau européen sur la taxe sur les transactions financières.

10. La régulation des acteurs des marchés financiers
10.1. L’Union des capitaux sur laquelle la Commission européenne est engagée doit passer ces propositions au peigne fin de leur contribution non seulement du financement de l’économie comme annoncé mais aussi de la transition écologique en complément des propositions mentionnées ci-dessus sous le point 6. Ainsi pourrait également être pris en compte les préoccupations formulées il y a quelques minutes par Travers McLeod lorsqu’il se préoccupe de la prise en compte financière de l’évaluation des risques écologique ou de sécurité lié aux questions énergétiques.
10.2. En ce sens, l’initiative des banques centrales brésilienne et chinoise étudiant la possibilité d’incitations dans le cadre de la réglementation bancaire pour favoriser les investissements verts mérite d’être regardée de près. Il s’agirait de réduire la quantité de fonds propre demandés pour un financement vert.
10.3. L’empreinte carbone des entreprises doit être évaluée, publiée et devenir un critère d’appréciation notamment par les agences de notation.

De plus en plus d’appels se font entendre pour fixer un prix correct du carbone dans l’ensemble des grandes économies de la planète afin de développer les solutions favorables au climat ; et pour stopper les subventions aux énergies fossiles qui introduisent des distorsions dans le marché. Sortir l’économie européenne du marasme, réduire la dépendance de l’Union européenne à l’égard de la Russie, démontrer la détermination des Européens à réussir la COP 21 et au delà à tenir les engagements ainsi contractés, mettre les marchés des capitaux au service du financement de l’économie réelle, autant de raison pour croiser transition écologique et financement innovant.

Je suis certaine que nos travaux aujourd’hui y sont une contribution utile. Je vous remercie de votre attention.