Interview Paris Match
1er Août 2014
Adrien Gaboulaud
Paris Match. Que pensez-vous du choix de François Hollande de désigner Pierre Moscovici comme candidat au poste de commissaire européen, alors que vous-même étiez intéressée par le poste?
Pervenche Berès. C’est son choix.
Vous n’avez pas plus de commentaires à faire?
Pas plus.
Pensez-vous que le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, peut être l’homme d’une réorientation de l’Europe?
Il a déjà démontré dans l’hémicycle qu’il ne faisait pas du Barroso. Il a une fibre européenne que son prédécesseur n’avait pas. Il est soucieux de l’état du projet européen. Il est dans une équation très difficile et c’est pour ça que les commissaires de gauche ont une responsabilité très forte. Ils ne doivent pas baisser la garde, ni être des socialistes de façade.
Qu’a changé l’arrivée de nombreux élus du Front national au Parlement?
Ça nous oblige à vraiment faire fonctionner la démocratie parlementaire, c’est-à-dire à travailler avec les démocrates. Ça suppose de ne pas être obsédé par le discours de madame Le Pen sur l’UMPS, mais par la réorientation de l’Europe. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’on ne peut pas compter seulement les points de madame Le Pen. Il y a le Front national, l’Ukip et les conservateurs britanniques. Ils se détestent, ils s’engueulent, mais sur une stratégie anti-européenne, ils peuvent se retrouver dans la même majorité.
Vous entamez votre cinquième mandat au Parlement européen par une offensive sur la transition énergétique. Pensez-vous vraiment que les socialistes français sont mobilisés sur cette question?
Dans la délégation socialiste française que je préside, c’est une idée très partagée. Cette perception-là est très partagée dans la délégation.
Que pensez-vous du projet de loi présenté cette semaine par Ségolène Royal?
Je crois que le travail engagé par Ségolène Royal est totalement en phase avec ce que je dis au niveau européen. Il y a des innovations qui vont vraiment mettre la France à l’avant-garde, par exemple sur le soutien à la rénovation des bâtiments.
La question du nucléaire a fait polémique. L’Allemagne s’est montrée beaucoup plus radicale que la France en fermant ses centrales. Comment arriver à un consensus sur ce sujet au niveau européen?
La question du mix énergétique est une question de souveraineté nationale. A l’échelle européenne, on a échoué à mettre en place des éléments de sécurité énergétique partagés, par exemple sur la question des stocks ou des interconnexions. Cependant, si on est sérieux sur l’idée d’une communauté européenne de l’énergie, il faut pouvoir parler ouvertement de ces sujets. Les engagements qui ont été pris en France sur la diminution de la part du nucléaire, c’est une contribution à la convergence européenne. On ne peut être les champions de la lutte contre le réchauffement climatique et rouvrir ses centrales à charbon comme l’a fait l’Allemagne.
Vous faites de la transition énergétique un enjeu stratégique : pourquoi?
Quand l’Union européenne est née, l’enjeu était d’assurer la sécurité alimentaire de l’Europe. Aujourd’hui, on peut estimer qu’assurer la sécurité énergétique est le nouvel enjeu. Pendant très longtemps en France, on s’est préoccupé de notre dépendance vis-à-vis de l’Algérie en matière d’approvisionnement en gaz. Aujourd’hui, la grande question stratégique, c’est la relation avec la Russie. Quand l’Union européenne, en 2007, définit les premiers éléments d’un nouvel de sa stratégie énergétique, c’est déjà lié à la Russie. C’est parce qu’Angela Merkel arrive au pouvoir après l’affaire Gazprom (qui a dévoilé les liens de l’ancien chancelier Gehrard Schröder avec l’entreprise russe, ndlr). Elle a besoin de reconstruire son capital de sympathie vis-à-vis des autres pays et elle met l’accent sur la question de la solidarité énergétique. Malheureusement, on a mal exploité ce moment. On a traité l’énegie uniquement comme un sujet de marché intérieur. On n’a pas mis l’accent sur le fait de parler d’une seule voix vis-à-vis de la Russie. On n’a pas affronté les grands groupes du secteur qui considèrent être dans une meilleure posture que l’Union européenne pour négocier les contrats avec la Russie.
Le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen a récemment affirmé que les Russes mettent sur pied des campagnes anti-gaz de schiste pour préserver la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe. Qu’en pensez-vous?
Il faut regarder les choses en face : dans les conditions actuelles, le gaz de schiste n’est pas soutenable. La question de la soutenabilité ne peut pas être à géométrie variable. On ne peut pas colmater d’un côté pour rouvrir une brèche de l’autre. L’enjeu se situe aussi dans la relation avec les Américains. Dans le cadre du traité transatlantique, la question de l’ouverture du marché européen à de l’énergie d’origine américaine pourrait se poser, par exemple concernant le charbon dont ils ne se servent plus parce qu’ils ont surexploité le gaz de schiste.
L’Union européenne n’a pas de véritable budget pour financer la transition énergétique. Que proposez-vous?
Il y a plusieurs pistes possibles. Celles qui sont classiques : la Banque européenne d’investissement, la mobilisation des fonds structurels, tordre un peu le cou à la réglementation. Et puis il y a des pistes nouvelles, comme celle de ressources propres dans le budget de l’Union. Il faut aussi savoir comme on invente de nouveaux outils financiers européens pour mobiliser l’épargne des Européens. Aujourd’hui, vous allez voir votre banquier, il vous propose des actions chinoises… J’exagère un peu. Reste qu’il faut penser à un patriotisme européen dans la mobilisation du capital.
Ne redoutez-vous pas que le sommet Paris Climat, prévu en 2015, soit à nouveau une déception?
On va essayer de ne pas recommencer. C’est un vrai test pour la France et pour Juncker.