Au-delà de l’information, par Ferdinando Riccardi: Pervenche Berès et Giulio Tremonti: les objectifs sont-ils en partie analogues ?

Le sujet d’aujourd’hui n’est pas une question de droite ou de gauche. La condamnation de l’activité purement artificielle du monde de la finance, sans rapport avec l’économie réelle, a été tellement sèche et parfois méprisante de la part de personnalités de toutes les tendances politiques. Cette rubrique a cité des prises de position de Valéry Giscard d’Estaing aussi radicales que celles de personnalités de gauche. Cette semaine, les prises de position les plus fermes dont j’ai eu connaissance sont elles aussi bicéphales: une parlementaire européenne du groupe socialiste et le ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Berlusconi. Je ne me réfère pas à des prises de position sur l’un ou l’autre aspect (où les divergences parfois nettes subsistent) mais à l’évaluation générale, je dirais presque historique, de la crise actuelle.

Une évolution sur trente ans.

Le projet de rapport de Pervenche Berès sur la crise financière, économique et sociale, avec ses opinions sur les mesures à prendre, est un texte de 40 pages serrées, et il n’aura pas au Parlement européen une vie facile: 1 625 amendements ont été déposés avant encore que la discussion commence au sein de la commission ad hoc. La rapporteure (elle a retenu ce terme au féminin, même si plusieurs dictionnaires ne le reconnaissent pas encore) s’est étonnée que son projet ait été perçu comme extrêmement idéologique ; je crois que c’est sa surprise qui est étonnante, car la longue partie de son texte consacrée à l’origine et aux causes de la crise est effectivement une interprétation idéologique ; elle dénonce le fonctionnement et la gestion de la mondialisation et la « crise des valeurs et de l’éthique » qui en a été le résultat, en citant les 4 milliards de dollars investis en dix ans par l’industrie financière américaine pour influencer le Congrès, et ainsi de suite. Mais le sort de ce rapport n’est pas mon sujet d’aujourd’hui, même s’il est facile de prévoir qu’il rencontrera une avalanche d’obstacles, ses suggestions institutionnelles comprises.
Mon sujet est l’évaluation globale de Mme Berès sur la transformation de l’économie mondiale au cours d’une trentaine d’années, caractérisée par trois facteurs (je reprends un passage de son résumé devant la commission des affaires européennes du parlement français): « Sur le plan financier, un système bancaire de l’ombre s’est développé ainsi que des stratégies de placements à court terme sans rapport avec les besoins d’investissement à long terme de l’économie. Sur le plan social, l’évolution s’est traduite par une redistribution inégalitaire et des phénomènes d’évasion fiscale à l’avantage du capital et
au détriment du travail. » Son rapport indique quelques chiffres: la part des salaires dans le produit national est passée en Europe de 73% en 1980 à 64% en 2005, et elle dénonce l’écart énorme et persistant en termes de rentabilité entre le secteur financier et les autres secteurs économiques, chiffres à l’appui.

Les forces politiques du centre-droit rappellent qu’au cours des trente années de la transformation, les socialistes ont eu en Europe leur vaste part de gouvernements au pouvoir et de majorités parlementaires: l’époque n’est pas lointaine où les gouvernements socialistes étaient dans l’UE les plus nombreux.
Contre la spéculation. La remarque qui précède, adressée plus ou moins explicitement au rapport Berès, nous conduit aux déclarations faites à Bruxelles par Giulio Tremonti, ministre italien de l’Économie et des Finances, soulignant que l’activité financière internationale dépasse de très loin, en valeur, la production réelle de l’économie mondiale dans son ensemble. Ceci signifie que le monde de la finance s’enrichit de manière artificielle par des richesses inexistantes. Les spéculateurs engagent de l’argent qu’ils ne possèdent pas, achètent et vendent des marchandises dont ils ne sont pas propriétaires, provoquent des augmentations ou l’écroulement de cours internationaux de produits de base et de produits alimentaires au détriment de l’économie réelle et parfois de la vie de millions de personnes. Les disciplines que l’UE est en train de mettre au point progressivement permettront de corriger les abus en rendant sa place à l’économie réelle.
Signification globale. Pourquoi cette rubrique a-t-elle placé côte à côte ces dénonciations de personnalités tellement éloignées sur le plan politique ? Pour contribuer à faire comprendre la signification globale de ce que l’Europe s’efforce de réaliser et d’obtenir, et que les États-Unis ont déjà en partie réalisé. Les voies à suivre et les instruments à mettre en place font l’objet de divergences souvent profondes entre les forces politiques ; les accusations réciproques sont parfois très vives ; les résultats seront sans doute différents selon la nature et le fonctionnement des instruments qui seront en définitive retenus ; mais les objectifs en partie coïncident. Et il faut espérer que la tendance favorable aux formules les plus communautaires et supranationales pourront prévaloir. Mais sans oublier l’objectif global d’un système plus équitable.

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