Les demandes des avocats de la réduction des risques sont sans fin

Vendredi  7 décembre 2018

Interview parue dans Revue Banque n°827

Membre du Parlement européen depuis 25 ans, Pervenche Berès ne se représentera pas lors des prochaines élections. Ses deux derniers dossiers, pour lesquels elle est rapporteur et/ou corapporteur, sont la réforme des autorités européennes de supervision (EBA, ESMA et EIOPA) et la fonction de stabilisation, c’est-à-dire un embryon de budget pour la zone euro.

Revue Banque En quoi l’achèvement de l’Union bancaire est-il dépendant de l’équilibre entre d’une part le partage des risques et d’autre part la réduction des risques ?

Les négociations visant à achever l’Union bancaire sont largement influencées par la recherche d’un équilibre entre le partage des risques et la réduction des risques.
Entrent dans la catégorie du partage des risques :
• le troisième pilier de l’Union bancaire, un système européen de garantie des dépôts (EDIS), qui est toujours en attente ;
• la fonction de stabilisation, c’est-à-dire un embryon de budget pour la zone euro, qui est elle aussi en attente.
• un final backstop, c’est-à-dire un filet de sécurité qui serait mis en œuvre si le Fonds de Résolution Unique ne suffisait pas ; nous en sommes à l’étape de sa mise en œuvre, pour laquelle un accord a été trouvé lors de l’Eurogroupe du 3 décembre.

Dans la catégorie de la réduction des risques, se trouvent :
• le paquet bancaire, c’est-à-dire la finalisation de BRRD et de CRR-CRD ; cette longue négociation est terminée et l’accord a été annoncé le 4 décembre.
• le paquet NPL (Non-Performing Loans), dont la négociation est dans sa phase finale : le principe de l’accord est quasiment conclu.
L’équilibre entre ces deux catégories est d’abord souhaité par l’Allemagne qui en a une vision singulière : elle estime par exemple que la création du final backstop correspond à un équilibrage à la suite de l’adoption du paquet bancaire, alors que ce backstop était déjà acté depuis l’origine de l’Union bancaire; il manquait simplement sa mise en œuvre. Selon moi, la contrepartie à obtenir, après l’adoption du paquet bancaire, en matière de partage des risques ce n’est plus le backstop mais EDIS et l’embryon de budget de la zone euro.
Mais en échange d’EDIS et du budget de la zone euro, l’Allemagne veut le Programme d’appui aux réformes (qui consiste à prendre 50 milliards au Fonds européen de cohésion [1] pour les donner aux pays qui font des réformes structurelles, le tout devant être piloté par la Commission européenne), c’est sur cette base que les ministres de l’Eurogroupe ont trouvé un accord.
Autre demande allemande : ajouter, dans la catégorie de la réduction des risques, l’exposition aux souverains (qui n’est aujourd’hui pas prise en compte dans le régime prudentiel des banques). Les demandes des avocats de la réduction des risques sont sans fin.

Quel regard portez-vous sur l’accord franco-allemand visant à créer un budget de la zone euro ?

L’accord franco-allemand du 19 novembre 2018 identifie trois raisons de créer un budget de la zone euro : la compétitivité, la convergence et la fonction de stabilisation.

La compétitivité n’est pas à mon sens un sujet spécifique à la zone euro. Le besoin d’un budget d’investissement (sur les infrastructures par exemple) est aussi réel hors zone euro qu’en zone euro.
La convergence constitue un vrai sujet zone euro donc il faut réfléchir à la façon d’utiliser la politique de cohésion de façon intelligente dans la zone euro, c’est pourquoi j’avais proposé un code de convergence, sinon la méthode du contrat va s’appliquer : donner de l’argent aux pays qui réalisent des réformes structurelles. Cette conception de la convergence est focalisée sur les réformes structurelles alors qu’elle pourrait concerner les salaires et les niveaux d’investissement public.
L’accord intervenu à l’Eurogroupe du 3 décembre 2018 est construit sur ces deux éléments, cela correspond peu ou prou au Programme d’appui aux réformes proposé par la Commission.
Le sujet majeur de la zone euro est pourtant la stabilisation : quand la zone est heurtée par la crise, les fonctions de stabilisation automatiques (indemnités chômage, niveau d’investissement public) sont touchées dans les États membres. Et pendant la crise financière, les stabilisateurs automatiques des pays de la zone euro ont davantage souffert que ceux des pays européens hors zone euro. Ce mécanisme s’explique par l’impossibilité, pour les membres de la zone euro, d’agir sur leur monnaie.
La fonction de stabilisation d’un budget de la zone euro est donc très légitime et nécessaire. Elle peut prendre trois formes différentes :
• lorsqu’un pays est heurté, le budget de la zone euro l’aide à maintenir son niveau d’investissement public. Cela correspond à la proposition de la Commission.
• les pays heurtés suspendent leurs contributions au budget de l’UE. C’est la solution privilégiée par l’actuel gouvernement en France
• la solution du ministre allemand des finances consiste à confier au fonds de stabilisation un rôle sur l’assurance chômage : soit ce fonds soutient directement les chômeurs des pays touchés, soit, selon un mécanisme de réassurance, il soutient les fonds d’indemnisation chômage des pays. Je me suis ralliée à cette seconde méthode car elle ne nécessite pas une harmonisation préalable des régimes nationaux.
Dans l’accord franco-allemand post-Meseberg du mois de novembre 2018 il est question d’un petit budget (dont le montant n’est pas défini) destiné à lier convergence et compétitivité. Il s’agira donc de donner, aux pays qui mettent en œuvre des réformes structurelles, de l’argent pour investir. À cette vision, je pense plus pertinent que les pays heurtés par une crise soient aidés à maintenir leur niveau d’investissement public, comme le propose la Commission européenne, et à indemniser leurs chômeurs.

Selon vous, quel devrait être la place du MES ?

Il y a unanimité pour reconnaître au MES la fonction de boîte à outils pour gérer une future crise qui surviendrait dans un pays de la zone euro. Mais son directeur, Klaus Regling, prétend que pour assurer cette mission, il doit être en mesure de contrôler les finances publiques du pays concerné, or ceci correspond au rôle de la Commission. Au Parlement et en particulier au sein du groupe S&D, nous estimons que le MES doit être intégré à la Commission, devenir l’un de ses services, et ainsi entrer dans la méthode communautaire. Mais le MES fonctionne sur une garantie fournie par les États membres qui ne veulent pas transférer leur garantie au budget de l’UE. Pour l’instant cette difficulté n’étant pas surmontée, nous sommes dans une situation intermédiaire. Selon le Conseil, cette étape de l’intégration du MES à la méthode communautaire n’est pas urgente et nous devons dans un premier temps nous concentrer sur l’élargissement des fonctions du MES. Mais Klaus Regling ne semble pas souhaiter l’intégration à la méthode communautaire ; le MES demeure donc dans une démarche intergouvernementale et il monte en puissance, en tant qu’institution autonome, pour concurrencer la Commission. Un vieux rêve de certains, pourrait se concrétiser : la préparation des sanctions contre les États réalisée par cette structure autonome. Klaus Regling considère que le MES est soumis à un contrôle démocratique car, avant de débloquer des sommes, il doit obtenir le feu vert notamment du Parlement allemand. En réalité, tous les parlements nationaux pourraient s’exprimer avant un déblocage de fonds mais seul le Bundestag et quelques autres assemblées comme le Parlement finlandais, le font. Quand bien même tous les Parlements nationaux seraient consultés, l’addition de leurs votes n’est pas adaptée pour contrôler une décision européenne.
C’est la raison pour laquelle, le MES tente de se rapprocher des députés européens pour instaurer un dialogue officiel entre le Parlement européen et le MES. C’est la reconnaissance de l’existence d’un manque mais cette démarche ne doit pas servir à légitimer le MES en tant qu’institution autonome. Le MES doit au contraire entrer dans le cadre communautaire.
Vous êtes corapporteur pour la réforme des ESAs ; en quoi le Brexit rend-il la réforme de la gouvernance des ESAs plus urgente ?
Avec le départ de la Place de Londres du marché unique, les autres places financières risquent de se livrer une concurrence féroce, notamment au travers des superviseurs nationaux qui siègent aux conseils des ESAs. Il est donc indispensable, aux côtés du conseil des superviseurs, d’instaurer un conseil exécutif doté de réels pouvoirs et constitué de membres permanents qui pourraient être désignés, notamment, par le Parlement.

Le Brexit est-il certain ou un second référendum est-il envisageable ?

Tous les scénarios sont possibles, depuis un Brexit sans accord jusqu’à un second référendum, qui annulerait le premier. Theresa May pourrait même demander un vote du Parlement sur un retrait de l’article 50.

Quelle leçon les Européens devraient-ils tirer de la façon dont les négociations se sont déroulées ?

Quand les 27 se rangent derrière la méthode communautaire, comme ils l’ont fait en restant solidaires derrière Michel Barnier, cela permet de gérer des situations très difficiles. La façon dont les Européens ont négocié a été remarquable et le Parlement européen a été tenu parfaitement informé. La personnalité de Michel Barnier y est pour beaucoup. J’admets que sa nomination a été une excellente idée de la part de Jean-Claude Juncker dont, par ailleurs, le bilan est à mes yeux médiocre.

En cas de Brexit, le régime d’équivalence va-t-il s’appliquer pour les entreprises du secteur financier et est-il satisfaisant pour l’UE ?

Pour la Commission, c’est le régime d’équivalence qui doit s’appliquer. Il s’agit d’un pouvoir unilatéral de l’UE d’accorder et de reconnaître comme équivalente ou pas, une législation d’un pays tiers, l’UE pouvant retirer l’équivalence à tout moment. Les Britanniques vont essayer de réduire l’aspect précaire de ce régime d’équivalence au motif qu’au moment où ils sortiront de l’UE, ils appliqueront la législation européenne. S’ils ne parviennent pas à adoucir le régime d’équivalence, les entreprises britanniques d’investissement, par exemple, ouvriront des filiales (branch) dans l’UE dans l’unique but d’obtenir des passeports. Dans les domaines encore mal harmonisés au niveau européen, les différentes places financières risquent de se livrer à un dumping réglementaire entre États membres afin d’attirer ces filiales. Si une telle concurrence réglementaire s’installait, elle détruirait la logique même du marché intérieur que nous avons construit avec le soutien des Britanniques.

Mais l’Union européenne n’a pas nécessairement intérêt à octroyer un régime d’équivalence pour tous les services ou toutes les activités. Prenons l’exemple de la directive Mifid-Mifir dans laquelle un large pouvoir est laissé aux superviseurs nationaux : si une équivalence est accordée à l’autorité de supervision britannique, alors que l’UE n’aura plus de contrôle sur la façon dont ce superviseur travaille, la cohérence de la législation pourrait être vidée de l’intérieur.

L’exemple de Mifid-Mifir est emblématique car cette directive a été voulue par les Britanniques qui ont souhaité instaurer une concurrence entre les brokers et les Bourses publiques et cette législation est taillée sur mesure pour accommoder la façon dont les Britanniques interviennent sur le marché.

Propos recueillis par Sophie Gauvent, le 7 décembre 2018