Discours de M. Juncker : quels moyens budgétaires pour tenir ces promesses ?

 

Jeudi 14 septembre 2017

Communiqué de presse de la Délégation socialiste française

Le discours sur l’état de l’Union prononcé hier par Jean-Claude Juncker avait lieu trois ans après la mise en place de la Commission européenne « de la dernière chance », selon l’expression de M. Juncker. En 2014, nous avions fait le choix de l’abstention lors de la désignation de M. Juncker : nous ne pouvions pas le soutenir – M. Juncker n’était pas notre candidat – mais nous souhaitions lui laisser une chance. À l’époque, nous avions entendu Jean-Claude Juncker dire qu’il était candidat parce qu’il n’aimait pas l’Europe telle qu’elle était, dire sa priorité en faveur de la croissance et de l’emploi. Tout cela venait en écho à notre programme, mais nous n’étions pas convaincus qu’il tiendrait suffisamment compte de nos propositions pour répondre au désarroi et à la défiance de ceux qui souffrent des politiques d’austérité. Nous voulions qu’il s’engage plus loin avant de pouvoir compter sur nos voix. Nous voulions être certains de sa volonté politique et de sa capacité à convaincre sa famille politique, celle des conservateurs européens. Trois ans plus tard, le bilan que nous faisons de son action nous confirme dans notre choix de ne pas l’avoir soutenu. Le discours prononcé hier nous conforte dans ce sens. Pour faire des 16 derniers mois de mandat de cette Commission un temps utile, le discours de Jean-Claude Juncker devait être un plan de bataille. Il a été un discours de plus sur sa vision de l’Union. Bien sûr, nous ne pouvons que nous satisfaire de la reprise de plusieurs propositions défendues par les socialistes européens depuis plusieurs années, notamment : – la création d’une autorité commune du travail pour lutter contre le dumping social. À travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail est la règle qui doit s’imposer partout en Europe et pour laquelle nous nous battons, contre la famille politique de M. Juncker d’ailleurs. Pour sauver le projet européen, nous avons besoin d’un socle européen des droits sociaux. Il faut maintenant préciser les prérogatives de cette autorité pour lutter efficacement contre le dumping social ; – la lutte contre le changement climatique avec une proposition de réduction des émissions de carbone dans le secteur des transports ; – la solidarité avec l’Afrique et avec les réfugiés, notamment via l’ouverture de voies de migration légales ; – la défense d’une Union des valeurs, de la démocratie, de la liberté, de l’égalité de droit et de l’État de droit ; – l’achèvement de l’Union bancaire ; – la mise en place d’une Union européenne de la défense, opérationnelle d’ici 2025 ; – l’installation d’une cellule européenne de renseignement chargée de veiller à ce que les données relatives aux terroristes et aux combattants étrangers soient automatiquement échangées entre les services de renseignement et la police ; – la création d’un poste de ministre européen de l’économie et des finances qui fusionnerait les postes de commissaire européen en charge de l’économie et des finances et de président de l’Eurogroupe ; – la fusion des présidences de la Commission européenne et du Conseil européen ; – l’adoption d’un nouveau code de conduite des commissaires afin de renforcer les obligations des commissaires en matière d’intégrité, pendant et après leur mandat. Nous saluons la volonté de passer au vote à la majorité qualifiée sur les questions fiscales : l’unanimité est source de paralysie et n’est pas la garantie d’un débat démocratique sain et transparent tant elle encourage les arrangements cachés. Ces propositions ébauchent une vision pour le successeur de Jean-Claude Juncker, mais elles ne fournissent pas le plan de travail opérationnel dont nous avons tant besoin pour la fin du mandat. M. Juncker a dit « Il n’y pas d’amour sans déconvenue ». Nous lui répondons ainsi qu’aux États membres « Il n’y a pas d’amour sans preuves d’amour ». Des engagements financiers concrets doivent être formulés afin que les actes suivent les paroles. Or, dans ce discours, rien sur les négociations en cours du cadre budgétaire pour après 2020. Pas un mot sur la nécessité de crever le plafond des 1% du PIB pour le budget européen ou sur la nécessaire introduction de ressources propres dans son financement, notamment la taxe sur les multinationales et la taxe sur les transactions financières. En ne se prononçant pas sur ces engagements attendus, Jean-Claude Juncker prend le risque d’afficher des ambitions européennes sans les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre. Sur le rôle du futur ministre des finances, nous serons vigilants pour qu’il ne s’agisse pas que d’un gendarme des réformes structurelles et pour qu’il dispose d’un véritable budget permettant des interventions contra-cycliques ; nous voulons un contrôle démocratique de ses actes. Sur la garantie européenne des dépôts, la promesse faite ne peut pas attendre la suppression de tous les risques. En matière de commerce international, si nous saluons la volonté de transparence et de contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, nous sommes inquiets de la volonté d’aboutir à un accord à marche forcée avec le Japon, le Mexique et les pays d’Amérique du sud ou de l’ouverture de négociations commerciales avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. On ne peut que s’interroger sur cette foi dans le libéralisme marchand au moment où ce dont l’Europe a le plus besoin est le soutien à ses industries et à son agriculture et leur conversion à des modes de développement soutenables conformes à l’Accord de Paris. Par ailleurs, le timing choisi pour proposer une nouvelle phase d’élargissement ne nous convient pas ; ce sujet ne pourra être lancé qu’une fois les règles de fonctionnement modifiées. Dans les 16 derniers mois de cette législature, les eurodéputés socialistes et radicaux plaideront pour une Europe démocratique, sociale et solidaire, et s’adresseront en particulier à la jeunesse, sacrifiée un peu partout en Europe aujourd’hui et que M. Juncker a oubliée dans son discours. Ils continueront à s’engager activement pour la refondation démocratique de l’Union européenne, au niveau européen, national, régional et local.

Discours de M. Juncker : quels moyens budgétaires pour tenir ces promesses ?