EPSCO – Luxembourg : Améliorer la gouvernance de l’UE pour préserver le modèle social européen

J’étais invitée en tant qu’oratrice à la réunion informelle des ministres de l’Emploi, des Affaires sociales et de l’Égalité des chances (EPSCO) à Luxembourg, les mercredi 15 et jeudi 16 juillet 2015.

La session d’ouverture du 16 juillet visait à explorer les étapes nécessaires pour renforcer la dimension sociale dans le cadre de gouvernance communautaire, et plus précisément dans celui de l’Union économique et monétaire, sujet que j’avais développé dans mon rapport: « Examen du cadre de gouvernance économique : bilan et enjeux » .

Elle réunissait les ministres de l’Emploi et des Affaires sociales de l’Union, – dont François Rebsamen -, Marianne Thyssen, commissaire en charge de l’Emploi, des Affaires sociales, des Compétences et de la Mobilité des travailleurs, ainsi que des représentants du Parlement européen.

Ci-après, les axes d’intervention de mon discours.

La dimension sociale dans le cadre de gouvernance de l’UE

EPSCO, Luxembourg, 16 juillet 2015

Introduction

Les épisodes de la mandature précédente ont montré que la dimension sociale, au-delà des discours et du rapport de notre collègue Marian Thyssen, a surtout dû être abordée de manière défensive – cf. le sauvetage du Fonds européen d’aide aux plus démunis et le maintien du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation – avec par ailleurs un rendez-vous partiellement raté (le minimum de 25% du budget de la politique de cohésion qui aurait dû être consacré au Fonds social européen), un progrès déjà remis en question par certains d’entre vous – la directive d’exécution relative au détachement des travailleurs – et un vrai succès – la naissance de la garantie jeunesse européenne. C’est dire la tâche qui nous attend alors que le chômage est toujours aussi haut et que les inégalités continuent de croître.

1. Objectifs et nouveaux enjeux

– Le défi du AAA social proposé par la présidence luxembourgeoise est au cœur de la soutenabilité démocratique de l’Union tant l’aggravation des inégalités menace la construction européenne elle-même, comme vient de nous le rappeler, si nécessaire, l’affaire de la Grèce. Elle est aussi au cœur de l’efficacité économique comme le démontre avec forces des travaux toujours plus nombreux de l’OCDE ou du FMI, pour ne mentionner que ces deux-là, et même si ce dernier semble oublier parfois ses analyses lorsqu’il agit comme créancier.

– Préserver l’essence du modèle social européen, menacé par des inégalités croissantes, remis en cause par la mondialisation, la crise d’abord financière mais aussi celle de la gouvernance de la zone euro, et bousculé par les nouveaux modes de production, l’uberisation du marché du travail, de consommation, de distribution, apparus sur le marché intérieur en raison du développement du numérique.

– S’adapter aux mutations sociétales, avec la substitution, au niveau du droit social, d’une logique assurantielle, reposant sur l’accumulation de droits conditionnés à l’emploi, à un système fondé sur la personne, associé à une réelle portabilité des droits.

– Relever le défi de la transition écologique, engagement qui ne peut s’envisager qu’à l’échelle européenne et qui impose d’affermir les liens entre une économie plus respectueuse de l’environnement et la création d’emplois décents.

2. Exigences institutionnelles

– Garantir le respect de l’article 3 du Traité qui mentionne le plein emploi, le progrès social, la lutte contre l’exclusion sociale et la protection sociale parmi les objectifs de l’Union et de l’article 9, pour lequel certaines des personnes présentes dans cette salle se sont beaucoup battues, — mais qui n’a jamais été utilisé- et qui précise que ces fins doivent être prises en compte dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques européennes.

– Rénover le dialogue social européen dont l’efficacité accrue permettrait de limiter les effets de la crise, d’anticiper les changements et d’accomplir des progrès législatifs, notamment en matière de gouvernance de la zone euro, de droit du travail, de santé et de sécurité au travail.

– Assurer la primauté des droits sociaux sur les libertés économiques, en se saisissant de l’opportunité de toute future modification du Traité pour graver ce principe dans le marbre, par exemple à travers l’instauration d’un « protocole social », car sinon la Cour fera toujours prévaloir le marché intérieur sur le droit social.

3. Outils d’intervention (inspirés du rapport Berès)

– Intégrer la dimension sociale dans la gouvernance économique. Beaucoup de progrès peuvent en ce sens être initiés sans changement de traité et prendre en compte, au-delà des quelques éléments figurant dans le rapport des 5 présidents qui s’intéresse surtout au fonctionnement du marché du travail, le récent rapport du Parlement européen sur la gouvernance économique auquel la commission de l’emploi et des affaires sociales a pu utilement contribuer. Il s’agit :

 i) d’acter les limites de la méthode ouverte de coordination (MOC). La question sociale doit être traitée là où la gouvernance se dessine, à l’EPSCO de s’organiser, y compris en format zone euro pour peser dans le processus. Qui ne voit pas qu’entre les lignes directrices intégrées et les recommandations spécifiques par pays, ce sont les secondes qui commandent ? Les ministres des affaires sociales doivent peser avantage dans le débat économique;
ii) d’instaurer une « procédure de déséquilibres sociaux « , en miroir de la « procédure de déséquilibres macroéconomiques », fondée sur un ensemble pertinent d’indicateurs sociaux (inégalités, pauvreté, accès aux soins, etc.). Qui ne voit pas que sans indicateurs sociaux forts et sans un meilleur équilibre dans l’utilisation des résultats de la procédure de déséquilibre macro-économique (MIP), il n’y aura pas de convergence qui vaille ?
iii) d’adopter un code de convergence défini sur 5 ans, et dont l’un des objectifs au moins soit de nature sociale ;
iv) de ne pas permettre qu’une réforme structurelle soit menée sans appropriation nationale, sans étroite association à tous les stades des partenaires sociaux ; de permettre une évaluation de la réforme structurelle prenant pleinement en compte son impact social : au fond utiliser vraiment l’article 9 du Traité ;
v) porter l’investissement social plutôt que la seule réforme du marché du travail.

– Tracer le chemin vers l’instauration d’un salaire minimum européen, sur la base de l’article 151 du Traité, qui insiste sur l’amélioration des conditions de vie et de travail, ainsi que leur harmonisation, en commençant par l’obligation d’avoir dans chaque Etat membre un salaire minimum respectant les lois et les pratiques nationales, puis en promouvant ensuite la convergence, qui seule permet d’éliminer le « dumping » social.

– Inscrire la dimension sociale dans les débats sur la création d’un budget propre de la zone euro, comme outil pour limiter les fluctuations de l’emploi autour de sa tendance de long terme (effet de stabilisation) ; lever les freins à la mobilité des travailleurs et redonner un sens à la notion d’intégration solidaire.

Conclusion

Pierre Mendès-France a, dans un discours à l’Assemblée nationale française du 18 mars 1957 sur le Marché commun, analysé les risques, y compris au plan social, d’une « mauvaise gouvernance » européenne : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »