Discours de Pervenche Berès à la 9ème réunion régionale européenne de l’Organisation International du Travail

 

« Thematic Panel III on tackling the youth employment crisis and the challenges of the ageing society »

Oslo, Norvège, 8-10 avril 2013

Merci d’avoir choisi ce thème pour cette table ronde, dans une réunion régionale Europe de l’OIT, cette question de l’emploi des jeunes est bien évidemment majeure.
Depuis la crise en 2008, le chômage est passé  de 15 à 23%. Je voudrais discuter un instant la proposition de Johannes Schweighofer, représentant du gouvernement autrichien, sur la façon de le calculer. Je suis d’accord pour dire qu’il y a un problème plus spécifique de chômage des jeunes en Suède ou au Luxembourg. Lorsque le chômage des jeunes est le double du chômage des personnes entre 24 et 65 ans cela n’est pas nécessairement un problème, la difficulté vient du niveau général du chômage qui monte à un tel niveau que dans un pays comme l’Espagne une génération est à plus de 50% au chômage. Il existe donc un chômage relatif entre les jeunes et le reste de la population mais il y a également des chiffres absolus qui doivent être pris en compte et dans un certain nombre de pays en dehors de la Suède, l’Italie et Luxembourg nous sommes dans ce cas de figure.

Dans les pays le plus touchés par la crise le taux de chômage de jeunes a dépassé les 55% alors que dans les pays les moins touchés il demeure en dessous de 10%.
Tout le monde s’inquiète désormais du tableau de bord relatif aux déficits publics, aux dettes publiques et aux déséquilibres entre les Etats membres mais il faut dire que les déséquilibres en matière sociale sont aussi graves. Dans l’augmentation de la population de jeunes qualifiés de NEET (not in education, employment, or training), des situations particulières apparaissent qui doivent être observées avec davantage d’attention. Il s’agit de l’Irlande, de la Grèce de Chypre, de l’Italie ou de l’Espagne. Comme européens nous aimons nous référer au coût de la non Europe alors il est utile de regarder le coût de la non intégration des NEET évalué par Eurofound à 150 milliards d’euro soit 1,2% du PIB dans l’Europe à 27 et de 2% dans les pays où le chômage des NEET est le plus élevé.

Sur la question des conditions de travail des jeunes c’est aussi une des raisons d’intervenir dans le débat et de poser cette question en faisant de cette dernière une priorité. Ici je souhaiterais marquer un léger désaccord avec notre co-paneliste Monsieur Grinty, représentant les employeurs irlandais, lorsqu’il dit que, le chômage des jeunes est tellement important que les jeunes doivent accepter n’importe quel emploi. La question du travail décent, de l’agenda de l’OIT sur le travail décent s’applique aussi aux jeunes.
Sur les initiatives de l’Union européenne dans ce domaine, progressivement une prise de conscience s’est faite. Le chômage des jeunes est à traiter comme une question à part entière y compris comme objectif que l’Union européenne s’est fixée lorsqu’elle a adopté la stratégie EU2020, en que la population en âge de travailler (20-64 ans) ait un taux d’emploi de 75%. Si on veut atteindre cet objectif sans s’occuper de l’emploi des jeunes, il ne sera pas atteint. La Commission européenne a présenté un certain nombre d’initiatives phares et le Commissaire dans son intervention d’hier a dit que se sont celles qui auraient du qualifier l’Union européenne pour le Prix Nobel de la Paix ! Le Conseil européen lui-même a pris conscience de l’urgence de ce problème lors des conclusions de la réunion du Conseil européen en février 2013 dans le cadre financier pluriannuel, où la garantie jeunesse a été mise en place avec un budget de 6 milliards d’euro pour la période 2014 à 2020. Au Parlement européen nous avons commencé la discussion sur cette enveloppe et j’attire votre attention sur ce qui m’apparaît comme une contradiction.. Cette garantie est en réalité une mesure d’urgence pour faire face à la situation du chômage des jeunes dans un certain nombre d’Etats membres. Pourtant elle est inscrite dans un cadre pluriannuel, celui des politiques structurelles. Il y a là un décalage, c’est pour cette raison qu’au Parlement européen et j’espère qu’au Conseil nous aurons des soutiens en ce sens, nous allons proposer un « front loading » c’est à dire  que le budget ainsi prévu soit inscrit comme une mesure d’urgence même s’il l’est dans le cadre pluriannuel du budget européen.
Le Parlement européen, dès le mois de juillet 2010, a  adopté à une large majorité des propositions demandant la création de cette garantie jeunesse dans le cadre d’un rapport d’initiative sur la promotion de l’accès des jeunes au marché du travail, sur le renforcement du statut des stagiaires et du statut de l’apprenti. S’agissant de la mesure précise nous avons  adressé Conseil de l’EPSCO, dans une nouvelle résolution de janvier 2013, un certain nombre de messages.

Le premier message et cela nous a été confirmé dans les contacts bilatéraux que nous avons eu ici avec les représentants des pays qui connaissent l’expérience de ce que je qualifierai de « successful story »: pour que la garantie jeunesse soit un succès, il faut l’association des partenaires sociaux. Ceci signifie que dans les pays où cette pratique ou cette tradition de dialogue sociale n’est pas encore bien ancrée, la mise en place de la garantie jeunesse devrait être utilisée comme un moyen de le faire progresser.

Le second point est celui du financement. Il est prévu au niveau européen un financement reposant largement sur les Etats membres. Le Parlement européen aurait souhaité que ce financement se fasse sur la base d’un Fond européen qui préfigure ce que sera le débat sur la définition de stabilisateurs automatiques au niveau européen. Indépendamment de ce mode de financement, nous posons la question de la cohérence budgétaire. Si cette garantie jeunesse doit être en partie financée par le Fond social européen, il est encore plus nécessaire de sanctuariser dans la politique de cohésion la part dédiée au Fond social européen. Nous saluons l’initiative qu’a prise le Conseil européen mais nous pensons que la question de l’emploi des jeunes ne peut pas se résumer à cette initiative.

Au-delà de la garantie jeunesse, d’autres questions doivent être évoquées pour avancer dans ce domaine. Je souhaite tout d’abord revenir sur un élément qui a été beaucoup mentionné lors de cette conférence, c’est la montée en puissance de stabilisateurs automatiques européens alors que l’Union européenne est confrontée à la triangulation entre les politiques d’austérité et leur impact sur l’emploi. Cet impact touche en priorité les jeunes et résumer la question de l’emploi, y compris pour les jeunes, à la question de la réforme du marché du travail ne permet pas de corriger les déséquilibre macroéconomique que nous connaissons.

J’en viens au fonctionnement même du marché du travail pour mentionner en premier lieu l’importance de l’amélioration de l’adéquation entre l’enseignement et les compétences réelles qui sont demandés sur le marché du travail. Nous estimons aussi essentiel les travaux lancés par la Commission européenne à propos de la qualité des stages et les conditions de stage offert au jeunes, l’OIT pourrait me semble t’il utilement y contribuer.

Des mesures spécifiques devront être proposées pour améliorer les mécanismes d’apprentissage. L’utilisation de la garantie jeunesse devrait y contribuer mais cela ne couvre pas l’enjeu de l’amélioration de l’apprentissage alors que celui-ci apparaît comme une recette efficace qui pourrait bien faire l’objet d’une nouvelle modernité. Dernier élément spécifique au marché du travail que je souhaite mentionner : la lutte contre les stéréotypes d’emploi et la valorisation des emplois manuels et techniques  assortis de salaires et de conditions de travail décents.

L’Union européenne s’est penchée sur l’autre point de notre table ronde, la cohésion entre les générations vieillissantes et la solidarité intergénérationnelle, et elle a fait de l’année 2012, l’année du vieillissement actif. Dans ce cadre, nous avons observé, avec la crise, un fort taux de chômage des jeunes et une remise en cause de financement du système des retraites.

C’est l’enjeu de la solidarité entre les deux bouts de la chaine, de la valeur ajoutée des deux pour répondre aux défis de l’Union européenne. Parmi les principaux défis que l’Union européenne doit relever, il y a le défi démographique, l’innovation et la capacité d’adaptation, de création de valeur ajoutée dans un monde ouvert avec des émergeants qui sont en situation de croissance bien plus favorable que nous. Pour tenir ces deux bouts de la chaine, la question de la solidarité intergénérationnelle est importante. Nous ne devons pas penser que reculer l’âge de la retraite empêche l’entrée sur le marché du travail des jeunes même si c’est une pensée qui est parfois difficile à combattre. Les emplois ne peuvent pas être pensé en terme de stock, c’est une approche globale par rapport à la création d’emploi qui doit être posée. A propos des enseignements que les européens ont voulu tiré de ce vieillissement actif, la question de l’adaptation des postes de travail est pour nous un élément très important, de même que la contribution des personnes âgées à la société et la nécessité de favoriser la solidarité, la coopération et la compréhension entre les générations tout en offrant à tous la possibilité de travailler ensemble.

La Parlement européen par ailleurs demande que des initiatives concrètes puissent être engagées pour mettre en place cette passerelle entre les employés jeunes et les plus anciens. Nous avons proposé que des initiatives concrètes soient prises favorisant une nouvelle culture d’entreprise quant à la gestion des ressources humaines tout en préconisant des options concernant les emplois sociaux et les travaux d’utilité publique pour les travailleurs les plus âgés. Dans cet esprit je note en passant que le gouvernement français avec l’initiative des contrats de génération a montré une des voies possibles dans cette direction.

 Le Conseil, avec les lignes directrices pour l’emploi, engagent les Etat membres à :

–         accroitre la participation au marché du travail à travers des mesures favorisant le vieillissement actif,

–         relever le taux d’emploi des travailleurs âgés y compris en encourager l’innovation dans l’organisation du travail,

–          accroitre l’employabilité au moyen de perfectionnement professionnel et de participation à la formation tout au long de la vie ,

–          renforcer les systèmes de protection sociale.

 Pour être suivi d’effet, ces orientations devraient faire partie non pas d’une « soft » mais d’une « hard » surveillance. La procédure européenne qui en train d’être mise en place demande des comptes très précis au Etats membres à travers ce que l’on appelle les recommandations spécifiques par pays dans le domaine macroéconomique ou des réformes structurelles. Nous considérons que pour ces objectifs sociaux nous devrions avoir les mêmes niveaux de demande de prise en compte par les Etats membres.

Voici Mesdames et Messieurs, chers collègues, chers panelistes les éléments que j’ai souhaité apporter dans ce débat important pour l’Union européenne et ou la contribution de l’OIT est une contribution qui est toujours très précieuses pour  avancer. L’influence d’observateurs lucides de l’Union européenne pour résoudre cette contradiction entre austérité et nécessité de faire une véritable place sur le marché du travail aux jeunes et aux personnes âgés est la bienvenue.