Nous voulons des réponses sur les pratiques fiscales de MCDonald’s !

Jeudi 11 avril 2019

Lettre adressée à Edouard Philippe, Premier ministre et Pedro Sanchez, Président du gouvernement espagnol, parue dans Libération.fr le 12 avril https://www.liberation.fr/debats/2019/04/12/mcdonald-s-et-l-evasion-fiscale-que-decide-la-france_1720938

image lettre macdo

Monsieur Édouard Philippe
Premier ministre
Hôtel de Matignon
67 rue de Varenne
F- 75007 Paris

Bruxelles, le 8 avril 2019

Monsieur le Premier ministre,

Le Parlement européen a fait de la lutte contre l’évasion fiscale l’une des priorités de la mandature qui s’achève, particulièrement à travers les travaux des quatre commissions spéciales ou d’enquête successives sur l’évasion fiscale, la fraude fiscale et la criminalité financière.

Nous nous félicitons du rôle moteur joué par les gouvernements français et espagnol dans la lutte contre l’évasion fiscale en Europe, notamment lors des négociations sur le projet de directive sur la fiscalité numérique. Nous souhaitons aussi que la Présidence française du G7 puisse prendre en compte l’enjeu social de la mondialisation, notamment autour de politiques fiscales progressives, transparentes et efficaces.
Les multinationales du numérique doivent payer leur juste part d’impôt. À cet égard, nous avons suivi avec la plus grande attention la présentation le 18 janvier en Espagne et le 6 mars en France des projets de loi de taxe sur les revenus des GAFA.
Cependant, l’évasion fiscale ne se limite pas aux géants de l’internet américains, chinois ou européens. Leurs pratiques sont courantes dans tous les secteurs de l’économie comme cela a été mis en lumière par les nombreuses auditions menées par le Parlement européen. Les entreprises multinationales, les banques et les conseillers fiscaux profitent de la concurrence fiscale entre les États membres de l’Union européenne pour réduire leurs taux d’imposition autant que possible.

Le cas du groupe McDonald’s, second employeur privé au monde, est emblématique alors qu’il favorise une dégradation des standards sociaux dans le secteur de la restauration rapide. McDonald’s emploie 1,9 million de personnes dans le monde, dont plus de 73 000 en France et plus de 24 000 en Espagne. L’Europe, qui représente 40% de son chiffre d’affaires mondial, est déterminante pour ce groupe et constitue son premier marché, devant les États-Unis. McDonald’s détient une part de marché prédominante en France (76%) et en Espagne (40%) face à ses concurrents sur le marché de la restauration rapide à l’américaine.

McDonald’s constitue un cas d’école de ce qui pourrait être évité si les recommandations du Parlement européen en matière de lutte contre l’évasion fiscale était adoptées par l’Union européenne. Nous pensons notamment à l’abandon la règle de l’unanimité en matière fiscale qui prévaut au Conseil européen, pour permettre le vote à la majorité qualifiée. Nous soutenons également l’instauration du reporting public pays par pays et la mise en place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés comprenant une définition de l’établissement stable ou permanent.

Aujourd’hui, pour faire face à ces défis, la Commission européenne a beaucoup utilisé son cadre législatif en matière de concurrence, il s’avère cependant insuffisant notamment dans le cas de McDonald’s : après trois années d’enquête sur le régime fiscal accordé par le Luxembourg à cette entreprise, la Direction générale de la concurrence n’a pas pu sanctionner le groupe au regard des règles de contrôle des aides d’État, alors que le groupe a pourtant bien bénéficié d’une « double non-imposition ». La Commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a d’ailleurs souligné que « McDonald’s n’a payé aucun impôt sur les bénéfices en cause, ce qui n’est pas conforme au principe d’équité fiscale ».

Alors que cette enquête était toujours en cours, McDonald’s a annoncé qu’il transférait son siège du Luxembourg au Royaume-Uni. C’était en décembre 2016, soit quelques mois après le vote en faveur du Brexit et la décision du gouvernement britannique d’adopter des mesures fiscales favorables aux entreprises, en particulier, la réduction de l’impôt sur les sociétés.

Lorsque les instruments européens ne le permettent pas, c’est aux gouvernements des États membres de l’Union européenne qu’il revient de faire respecter la législation fiscale et de recouvrer le manque à gagner pour les citoyens, unilatéralement ou conjointement dans le cadre d’une coopération administrative renforcée.

Nous savons que des enquêtes fiscales sont en cours contre McDonald’s dans trois pays européens, l’Espagne, la France et l’Italie. Nous savons également que McD France (la tête de groupe d’intégration fiscale) a enregistré pour la France une provision pour risques de 595 millions d’euros dans ses comptes de l’exercice 2016 et de près de 426 millions d’euros dans ses comptes de l’exercice 2017.

En dépit de plusieurs demandes notamment auprès du ministre français des Finances quant à l’état d’avancement de ces enquêtes, nous n’avons toujours pas pu obtenir de réponse. Cette absence de retour nous fait craindre qu’une négociation soit en cours avec McDonald’s.

Pouvez-vous aujourd’hui nous donner ces informations ? Nous souhaitons également savoir de quelle manière la France et l’Espagne comptent s’assurer que de tels cas d’optimisation fiscale agressive ne puissent pas perdurer. La lutte contre toutes les évasions fiscales et l’impunité dont certains groupes continuent de bénéficier doit être une priorité pour rétablir la confiance des citoyens européens dans leurs systèmes démocratiques à l’aube des élections européennes. Nous comptons sur vous pour continuer à en faire l’une de vos premières priorités.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre plus haute considération.

Pervenche Berès, Porte-parole sur les questions économiques, S&D

Philippe Lamberts, Co-président des Verts/ALE

Eric Andrieu, Vice-président du groupe S&D, France Enrique Calvet Chambon, ADLE, Espagne

Sven Giegold, porte-parole sur les questions économiques, Verts/ALE, Allemagne

Ana Gomes, S&D, Portugal

Agnès Jongerius, S&D, Pays-Bas Alain Lamassoure, PPE, France

Claude Rolin, PPE, Belgique Martin Schirdewan, GUE, Allemagne

Paul Tang, S&D, Pays-Bas Ernest Urtasun, Verts/ALE, Espagne

Gabriel Zimmer, Président du groupe GUE, Allemagne

cc : Pedro Sánchez, Presidente del Gobierno español