Candidature de Manfred Weber : 3 intuitions…

Jeudi 6 septembre 2018

Article d’Isabelle Marchais paru dans l’Opinion

Le Parti populaire européen (droite) désignera son candidat le 8 novembre, lors de son congrès à Helsinki; L’Allemand Manfred Weber, candidat à la candidature pour la présidence de la Commission européenne

L’eurodéputé conservateur allemand Manfred Weber a annoncé mercredi à Bruxelles qu’il entendait devenir la tête de liste du PPE pour les élections de 2019. La chancelière Angela Merkel soutient sa candidature. Agé de 46 ans, Manfred Weber est membre de l’Union chrétienne sociale (CSU), parti bavarois allié à la CDU, et il est le chef du groupe PPE au Parlement européen. Il est chroniqueur régulier à l’Opinion, en alternance avec son collègue libéral Guy Verhofstadt.

C’est désormais officiel. L’eurodéputé allemand Manfred Weber, membre de l’Union chrétienne sociale bavaroise (CSU), a annoncé mercredi à Bruxelles qu’il était candidat pour être la tête de liste de sa famille politique lors des élections de mai 2019 et devenir le prochain président de la Commission. Président du groupe Parti populaire européen (PPE, conservateurs), il en a informé ses collègues dans la matinée : presque tous l’ont assuré de leur soutien.

A l’exception de Jérôme Lavrilleux, qui ne fait plus partie des Républicains, les élus de la délégation française sont restés silencieux, peut-être pour ne pas compromettre les chances éventuelles de Michel Barnier, dont le nom continue d’être régulièrement cité. Mais l’ancien ministre des Affaires étrangères risque de se heurter à un problème majeur de calendrier : les négociations sur le Brexit, qu’il mène avec doigté au nom des Vingt-Sept, pourraient ne pas être achevées, comme c’était initialement prévu, avant le Conseil européen du 18 octobre. Or, pour le PPE, le délai pour déposer sa candidature au poste de « Spitzenkandidat » est fixé au 17 octobre.

Emmanuel Macron pourrait en outre miser davantage sur la Banque centrale européenne que sur la présidence de l’exécutif européen, tandis que la chancelière allemande semble avoir décidé de laisser les coudées franches à Manfred Weber. « Je soutiens la candidature de Manfred Weber », a-t-elle déclaré à Berlin. « Celui qui est tête de liste du PPE peut évidemment, sur le principe, devenir aussi président de la Commission européenne », a-t-elle ajouté.

Paradoxes. Mais, comme le note un fin connaisseur du Parlement européen, « cette candidature n’est pas la fin de l’histoire et recèle plusieurs paradoxes ». D’un côté, Manfred Weber se présente comme le candidat de la famille démocrate-chrétienne allemande et part donc en position de force ; europhile, très attaché à l’unité de l’Europe, il peut aussi se targuer d’être soutenu par les petits pays. De l’autre, il est peu connu et n’a jamais exercé de fonction exécutive ou ministérielle alors que la présidence de la Commission est un poste particulièrement difficile. Difficile, dès lors, de faire des paris sur l’avenir.

« J’ai trois intuitions, confie l’eurodéputée socialiste Pervenche Berès. Un, que ce soit un faux nez de Merkel, qui ferait semblant d’être gentille avec la CSU mais garderait une marge de manœuvre pour soutenir à la fin un autre candidat, plus crédible. Deux, que ce soit une manœuvre de la Chancelière pour torpiller le processus des Spitzenkandidaten, auquel elle ne s’est jamais vraiment ralliée, et qui trouvera Macron à ses côtés. Trois, que cela permette surtout à l’Allemagne d’exprimer son intérêt pour l’un des grands postes de l’exécutif qui sera libéré en 2019 ».

L’élu allemand a une forte chance d’être choisi par sa famille politique. Mais il lui faudra ensuite mener une campagne qui s’annonce particulièrement difficile, en pleine poussée nationaliste et europhobe

Parmi les nombreux scénarios qui circulent à Bruxelles, certains imaginent ainsi qu’Angela Merkel pourrait partir avant la fin de son mandat pour succéder à Donald Tusk à la tête du Conseil européen. Ce qui pourrait, dans un souci de rééquilibrage géographique, conduire à la présidence de la Commission le représentant d’un petit pays, comme l’actuel premier vice-président Frans Timmermans, travailliste néerlandais et polyglotte. Le processus des Spitzenkandidaten, qualifié par le délégué général de LREM Christophe Castaner d’« anomalie démocratique » mardi à Bruxelles, serait alors mis à mal – au grand dam du Parlement européen, qui entend bien peser sur la nomination du successeur de Jean-Claude Juncker.

Clivages. Premier groupe du Parlement européen, le PPE sera aussi le premier à désigner son candidat, le 8 novembre à Helsinki. A ce jour, aucun autre candidat que Manfred Weber ne s’est officiellement déclaré ; mais une personnalité plus centriste pourrait émerger en cas de lourde défaite de la CSU lors des élections en Bavière du 14 octobre. Quels que soient ses concurrents, Manfred Weber a malgré tout une forte chance d’être choisi par sa famille politique. Mais il lui faudra ensuite mener une campagne qui s’annonce particulièrement difficile, en pleine poussée nationaliste et europhobe.

Le PPE est en effet traversé par un clivage de plus en plus important, entre les plus européens, tenants de la ligne traditionnelle démocrate-chrétienne, et les partisans d’une droite nationaliste, incarnés par le Premier ministre hongrois Viktor Orban et son homologue autrichien Sebastian Kurz qui gouverne avec l’extrême droite. « Le plus grand groupe politique européen, le PPE, va devoir adhérer sans ambiguïté pour les valeurs inscrites dans les traités de l’UE », a déclaré le coprésident du groupe des Verts au Parlement européen Philippe Lamberts. Jusqu’à présent, le PPE a refusé d’exclure le Premier ministre hongrois, préférant l’avoir à ses côtés que hors de contrôle. Mais cette stratégie pourrait finir par conduire à une scission en interne.

Enfin, en cas de victoire, probable mais sans doute plus faible qu’en 2014, du PPE aux élections européennes, Manfred Weber devra rallier une majorité de députés autour de lui. Or, contrairement à ce qui s’était passé avec Jean-Claude Juncker, le candidat du Parlement européen ne sera pas automatiquement le chef de file du parti arrivé en tête. Etiqueté à droite, il devra pour l’emporter faire preuve d’une grande habileté, dans le nouvel hémicycle et auprès des dirigeants européens.