La bataille en cours, c’est celle des contenus

 

Mardi 9 mai 2017

Intervention de Pervenche Berès  au groupe de travail S&D « Numérique »

Cher(e)s camarades,

nous sommes dans un débat tout à fait essentiel et je pense que l’on ne peut laisser nos travaux s’engager avec les autres groupes en fonction de l’opinion individuelle des uns et des autres.

Il s’agit ici, pour le groupe socialiste, de répondre à une question transversale. Comment adapte-t-on des droits existants à une nouvelle technologie ? Sur ce sujet, le groupe socialiste doit avoir de la mémoire, et se souvenir de ce qui s’est passé auparavant.

Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à l’ouverture d’un nouveau réseau, et amenés à devoir décider comment, dans ce nouveau réseau, on protège d’un côté les producteurs et de l’autre les consommateurs. Et à chaque fois que nous n’avons défendu que les consommateurs, le groupe socialiste a perdu ses marqueurs.

Je me méfie donc d’une ligne qui nous conduirait d’une manière, j’ose le mot, « populiste », à ne s’occuper que des consommateurs, et derrière lui des agents des plateformes qui n’ont que faire du soutien de la production, de la création et, en l’occurrence, des créateurs.

Je me permets, et nous appelle donc, à revenir à l’origine du débat et à replanter le décor dans lequel nous nous trouvons.

L’Union européenne, parce qu’elle a tenu ce raisonnement uniquement en faveur du consommateur contre le producteur, a laissé échapper entièrement l’industrie des télécoms. Elle voit aujourd’hui combien elle en paye le prix.

La bataille en cours, c’est celle des contenus. Je ne pense pas que la ligne du groupe socialiste puisse être une ligne qui, au bout du compte, ne protégerait que le consommateur au détriment du producteur.

C’est la raison pour laquelle, j’ai beaucoup de problèmes avec le rapport de Mme Comodini et que j’espère que notre groupe pourra, sur un certain nombre de points, le corriger. Je suis heureuse d’entendre que dans certaines commissions saisies pour avis, cela pourrait être le cas.

Notre responsable, Lidia, nous dit, – jusqu’à présent-, que l’article 11 et la création d’un nouveau droit sur les droits voisins est superflu, puisque le droit d’auteur « à l’ancienne » fonctionne bien.

A contrario, si le droit d’auteur à l’ancienne fonctionnait correctement, il n’y aurait pas besoin de nouveaux textes. Le droit d’auteur ancien est percuté par l’existence d’une nouvelle technologie. Si la Commission propose fort justement cette solution intelligente, c’est bien parce qu’il est question de savoir comment on privilégie l’accès au contenu et comment on protège les éditeurs, faute de quoi, nous n’aurons plus d’éditeurs, et nous savons combien nous avons besoin de leur intermédiation.

Sur la question de la responsabilité des plateformes, je n’accepte pas, je le dis sans modération, mais parfois il faut exprimer clairement ce que l’on pense, que le contenu des plateformes soit laissé en dehors de tout principe de filtre et de responsabilité.

Je note d’ailleurs qu’ici, au Parlement européen, on en a l’expérience…Deux collègues du Front national sont poursuivis pour n’avoir pas modéré le contenu de leur plateforme où circulaient des propos, racistes, antisémites et xénophobes. Ils sont aujourd’hui mis en accusation pour cela. Très concrètement la question du contrôle et de la modération des plateformes est posée. Il ne s’agit pas d’instaurer une censure, il s’agit d’appliquer les principes de responsabilité.

 

De la même façon, nous avons un problème si on suit Madame Comodini sur la question de la chaine des valeurs et le revenu du partage des bénéfices publicitaires (art. 13), vu le peu de confiance que nous avons dans la capacité des plateformes de la redistribuer aux créateurs eux-mêmes.

J’ai aussi un problème fondamental avec Madame Comodini, car je crois qu’elle a écouté tout le monde et a pensé qu’en faisant un petit mélange, elle a atteint un point d’équilibre. Mais en tant que socialistes et démocrates on ne peut se satisfaire d’un simple point d’équilibre. Cela ne peut être notre stratégie. Notre stratégie doit être de faire vivre la culture européenne, de s’assurer que les consommateurs, les citoyens, les habitants de l’Union aient accès à une Culture de qualité.

De la même manière, sur le considérant 38, dans lequel la question du rôle actif  des plateformes est posée, si l’on exonère de fait, comme Madame Comodini, YouTube ou Dailymotion du champ de ce texte, on a un problème.

J’en viens à la question de la rémunération des auteurs et des interprètes qui est capitale.  Je crois que le projet de rapport affirme un droit pour une rémunération équitable pour l’exploitation de leurs travaux en plus de la possibilité prévue par la Commission de demander une rémunération supplémentaire en cas de succès de l’œuvre. Cela va bien, y compris la possibilité pour les organisations représentatives d’intervenir dans le processus.

Tout cela est bien, soit. Mais il faut être cohérent : si on pense que cette affaire du droit d’auteur est une affaire importante, alors il faut soutenir l’idée d’un droit inaliénable à la rémunération. Car enfin, mes camarades, nous sommes socialistes et démocrates, partout nous disons que tout travail mérite salaire, à travail égal, salaire égal. Alors, parce qu’on aurait une nouvelle technologie, on n’aurait plus à travail égal, salaire égal ? Il y a là, me semble-t-il, un problème de cohérence qui touche aux fondamentaux de notre famille politique, qui doit nous conduire à soutenir ce droit inaliénable à la rémunération.

Dernière chose, sur le « text and data mining » (art. 3), il faut là aussi trouver un équilibre qui ne vide pas de son sens les exceptions. Nous avons encore un peu de travail devant nous pour le trouver.

J’ai déposé sur l’ensemble de ces points un certain nombre d’amendements avec d’autres collègues dans plusieurs commissions qui doivent être partie de nos compromis.

Je m’excuse d’avoir été un petit peu longue, mais je ne voudrais pas qu’en suivant telle ou telle logique qui parait sympathique, à telle ou telle catégorie de nos électeurs, nous oubliions des choses qui sont essentielles pour notre famille politique.